Alors que ces derniers mois, l’Autorité de la Concurrence avait déjà prononcé des sanctions importantes concernant des pratiques de restrictions des ventes en ligne, le franchiseur De Neuville vient d’être à son tour sanctionné pour avoir limité l’usage du canal de vente en ligne de ses produits à ses franchisés.
Par une décision du 6 février 2024[1], l’Autorité a condamné le chocolatier De Neuville, 3ème réseau de distribution spécialisé de chocolats en France, à une amende de 4.068.000 euros pour avoir mis en œuvre des pratiques visant à restreindre d’une part, la vente en ligne de chocolats de la marque De Neuville par ses franchisés, et d’autre part, les ventes de ces derniers à destination de la clientèle de professionnels.
Le premier grief retenu à l’encontre du chocolatier intervient dans le prolongement d’une série de décisions de l’Autorité relatives aux restrictions des ventes en ligne. Plus particulièrement, l’Autorité avait, dans deux décisions[2] rendues en décembre dernier, condamné les sociétés Mariage Frères et Rolex pour avoir empêché leurs distributeurs de vendre les produits de leur marque en ligne, suscitant ainsi un vif intérêt de la doctrine quant à sa fermeté sur ces pratiques.
Le modèle de la Franchise non épargné par l’Autorité de la concurrence
L’enseigne De Neuville est spécialisée dans la vente de produits de chocolaterie, 90% de magasins étant exploités par des franchisés. Avec 154 points de vente recensés, le réseau appartient au groupe alimentaire international Savencia, avec notamment des marques fromagères très connues (St-Môret, Saint Albray, Caprice des Dieux, etc.).
De Neuville exploite un site internet de vente en ligne lui permettant de vendre des produits directement à des consommateurs finaux. Comme tout réseau de franchise, les contrats liant le franchiseur De Neuville à ses distributeurs de chocolats s’accompagnaient de la remise d’un manuel opératoire.
Après enquête, l’Autorité a relevé qu’entre 2006 et 2019, les contrats de franchise et leurs annexes comportaient des clauses interdisant aux franchisés la vente en ligne, conduisant de facto à une interdiction de vendre sur internet.
Preuve s’il en fallait que le modèle de la franchise ne déroge à l’interdiction les interdictions de ventes en ligne aux franchisés. On notera toutefois que cette décision a été rendue suite à saisine d’office de l’Autorité et non suite à une plainte de franchisés.
Restrictions stipulées dans le contrat de franchise et dans le manuel-opératoire
L’Autorité a mis en évidence que les stipulations en cause étaient présentes 17 versions du contrat de franchise depuis 2006, où il était expressément précisé que le franchiseur disposait de l’exclusivité de la vente de ses produits et services en ce qui concerne la vente par correspondance ou internet. Cette exclusivité était également rappelée dans le manuel opératoire à travers des « Codes de déontologie ».
Si des dérogations étaient prévues pour les franchisés souhaitant vendre des produits sur internet, les franchisés étaient néanmoins tenus de recueillir l’accord exprès du franchiseur pour commercialiser leurs produits sur leur site internet détenu en propre, cette autorisation étant circonscrite à leur zone d’exclusivité territoriale.
Par la suite, le franchiseur avait changé ces dispositions des clauses contractuelles à partir de 2014 compte tenu de la célèbre jurisprudence Pierre Fabre[3] relative aux interdictions de ventes par internet. Toutefois, l’interdiction subsistait dans le manuel-opératoire, lequel faisait toujours référence à l’exclusivité du franchiseur en matière de vente en ligne.
Ce n’est qu’en 2019 que De Neuville a supprimé toutes références à ces interdictions pour donner la possibilité à ces franchisés de vendre en ligne, même si l’Autorité a souligné que certains franchisés pensaient encore que cette possibilité ne leur était pas réservée.
Effets restrictifs de concurrence sur les franchisés et les consommateurs
L’Autorité relève que le franchiseur – en s’appuyant sur sa double qualité de fournisseur et de concurrent des franchisés sur le marché de détail – a pu piloter, au travers de son système centralisé de vente en ligne, leurs débouchés commerciaux tout en conservant un avantage concurrentiel sur ces derniers.
Les franchisés ont ainsi été privés de la faculté de vendre de manière active et passive les produits de la marque à des clients via un site internet.
Ces stipulations contractuelles litigieuses ont été considérées comme réductrices de la concurrence intra-marque, ce qui est susceptible d’avoir privé les franchisés de retombées indirectes. La décision relève également que ces interdictions ont non seulement cloisonné le marché mais aussi privé les consommateurs d’un canal de distribution.
En synthèse, il était reproché au franchiseur de s’approprier la part du lion s’agissant des ventes en lignes des produits de marque De Neuville.
Les justifications avancées par le franchiseur, à propos notamment de la structuration du réseau de franchise, de l’image de marque du réseau, ou la forte concurrence inter-marques sur le marché concerné n’ont d’ailleurs pas suffit à convaincre l’Autorité qui a souligné que telles pratiques restrictives de concurrence par objet ne pouvaient être exemptés.
Conseils d’experts :
L’Autorité maintient sa position ferme contre toute forme de limitation des ventes en ligne, et notamment en l’occurrence dans les relations contractuelles entre les franchiseurs et les franchisés. Cette décision rappelle ainsi la nécessité pour les réseaux de penser avec attention les dispositions de leur corpus contractuel relatif à la vente soient en ligne, et de veiller à ce que les manuels opératoires le soient également.
Si l’interdiction absolue est prohibée, des aménagements peuvent être apportés contractuellement afin de veiller – dans la mesure du possible – à une harmonisation de la stratégie de vente en ligne au niveau de l’ensemble du réseau.
[1] Décision 24-D-02 du 06 février 2024 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de chocolats
[2] Décisions n° 23-D-12 du 11 décembre 2023 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des thés de luxe n° 23-D-13 du 19 décembre 2023 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de montres de luxe
[3] CJUE 13 oct. 2011, aff. C-439/09, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (Sté) c/ Président de l’Autorité de la concurrence